Journal PALEM
Un autre regard sur Singapour...
Belles Rencontres | 12/06/2020

Un autre regard sur Singapour...
Avec Stéphanie Lehembre.
Stéphanie Lehembre, graphiste d’origine a lancé l’année dernière, un coffee table book intitulé Singapore ARTitude. Ce très beau livre de 200 pages pose sur Singapour un autre regard au travers de clichés d’une cinquantaine de photographes amateurs et professionnels ainsi que d’une dizaine d’écrivains.
Rencontre avec Stéphanie, Franco-belge vivant à Singapour depuis huit ans.
Tout d’abord, pourquoi cette envie et ce besoin d’un livre comme celui-ci ayant nécessité plus de deux années de travail ?
Parce que je suis une passionnée de livres. En tant que graphiste et typographe dans l’âme, j’aime ce médium. Le livre laisse une trace, encore plus aujourd'hui dans ce monde digital où tout s'efface. Un beau livre, c’est aussi synonyme d’un moment, car il faut prendre le temps de le feuilleter.
Personnellement, j’aime aussi son odeur, son toucher. Un beau livre c’est une source d’inspiration, de savoir, une respiration dans une journée anxiogène, chargée.
Faire un livre était déjà inscrit en moi depuis longtemps, il ne me manquait plus qu’un sujet. Habitant alors ici depuis 5 ans, Singapour me fascinait par sa diversité singulière, ses contrastes, sa lumière, sa couleur, son énergie. Et je n’arrivais pas à trouver un ouvrage qui puisse me faire ressentir ce Singapour si différent de ce qui était vendu au public.
Singapour ARTitude a vu le jour après deux années de travail, recherches, échanges, rencontres. Il m’a fallu convaincre un collectif de photographes locaux et d’écrivains pour oser me suivre dans mon projet. Sans eux, je n’avais aucun contenu !
Ensuite le concept ARTitude s’est imposé. L’Art est partout dans la ville, dans ses rues, ses architectures, ses habitants... pour qui sait avoir l’œil. ARTitude, c’est tous ces instantanés, capturés par l’œil du photographe, par l’artiste en chacun de nous qui, ainsi révélés, deviennent de véritables œuvres d’art, hors du tumulte de la ville.
Singapour est internationalement connue et reconnue pour sa capacité d’innovation dans de nombreux domaines et s’impose comme ville modèle pour son organisation, sa gestion, sa propreté, sa sécurité... Cela a-t-il un impact sur la créativité ? Qu’en est -il de la scène artistique et culturelle à Singapour ?
Cette ville est perpétuellement en mouvement et c’est très énergisant ! On peut ressentir ce besoin d’être toujours orienté vers son avenir, son évolution. Cette notion de progrès laisse à penser qu’il y a beaucoup à faire et Singapour se donne l’occasion d’évoluer constamment.
Donc dans ce sens, la place à la créativité est présente mais les Singapouriens ont encore du chemin à faire pour que la créativité soit spontanée, qu’elle devienne naturelle.
L’art est un état d’esprit et la créativité est très subjective alors qu’ici à Singapour tout est basé sur des critères objectifs. Mais Janice Koh, membre du parlement avait déclaré que la 'créativité est une priorité nationale’ donc c’est un signe de bonne volonté. Singapour, c’est une très jeune cité de 50 ans, beaucoup reste à faire.
Par ailleurs, le côté multi-ethnique et la partie « héritage » sont très présents et exceptionnels.
En ce qui concerne l’art moderne et contemporain, en tant qu’Européenne et de par mon métier, je suis plus exigeante que ce qu’offre Singapour. Mais ils proposent beaucoup de choses, notamment pour attirer les familles de manière ludique et donner envie aux Singapouriens d’apprécier une certaine forme d’art.
Comprendre et apprécier l’art, ça passe aussi par un apprentissage, il faut du temps. On retrouve aussi beaucoup de sculptures dans la ville comme si Singapour voulait être un musée à ciel ouvert. J’ai d’ailleurs un chapitre dans le livre « Radart » écrit par Clémentine de Beaupuy qui parle magnifiquement de l’art urbain dans Singapour.
On ne peut le découvrir au premier regard, dites-nous en plus sur cet Inside Singapore à la rencontre duquel vous vous êtes lancée ces dernières années ?
L’idée en réalisant ce livre était de montrer ce dont on ne se doute pas à Singapour. Tel était mon crédo. Montrer combien cette ville peut être surprenante derrière son côté policé, aseptisé et même jusque dans sa nature sauvage domestiquée.
Derrière ce côté « Las Vegas asiatique » Singapour regorge de contrastes, d’aspérités et détonne avec ce qu’on peut s’imaginer d’elle. Il y a des villes comme ça, peu attrayante à la base mais quand on prend le temps d’y flâner, au détour d’une rue, on peut être bluffé! Au travers des 10 chapitres du livre, on rentre dans un Singapour insolite, coloré, graphique, un rien interdit même.
Qu’avez-vous ressorti de cette aventure collaborative incroyable qui dure depuis plus de 3 ans maintenant ?
Des belles rencontres avec les photographes singapouriens. J’ai été honorée qu’ils acceptent qu’une européenne fasse un livre sur leur ville. Qui suis-je pour prétendre connaître Singapour ? Les contacts avec les écrivains aussi ont été d’une grande richesse. Je retiendrai cette variété collective comme lors d’un concert, chaque instrumentiste avec leur propre talent. Tous réunis autour d’une même partition certes, d’un même livre mais chacun à sa façon. Ce fut aussi une énorme surprise pour moi lors de la clôture de ma campagne de levée de fonds de constater que plus de 250 personnes avaient acheté mon livre sans l’avoir eu en mains ! Comment tous m’ont fait confiance ?!
Ce livre en fin de compte, est né d’un collectif pour une communauté ! Un magnifique challenge qui m’a fait sortir de ma zone de confort avec à la clé une belle réussite dont je suis très reconnaissante.
Si vous deviez illustrer cette expérience en 3 visuels, lesquels seraient-ils et pourquoi ?
Celle-ci de Kajan Madrasmail, Moment in connection, de l’artiste Ju Ming.
Cette photo représente beaucoup mon concept ARTitude. La position du photographe, l’angle de sa photo qui donne la profondeur et l’instantané en arrière-plan de cette femme au parapluie qui ne se doute même pas d’avoir été l’actrice d’un cliché magique.
Celle-ci de Nicholas Ng Wei Bin, Singapore night ambiance.
Ici, on ne se doute pas qu’on est à Singapour. Le quartier de Little India regorge de scènes de vie étonnantes. Nicholas a un talent fou pour arriver à capturer le moment parfait. Ses compositions photos sont juste magnifiques : le jeu des lignes et du clair/obscur, la perspective, cette bougie dont on verrait presque la flamme frémir, le sujet qui regarde ailleurs comme si le photographe n’était pas là. Tout y est ! On dirait presque un Edward Hopper d’une autre époque.
Et enfin celle-ci de Rohan Ishwarla, Like Tetris blocks.
Cette photo me fascine par son coté très graphique, très abstrait alors qu’il s’agit de containers. J’aime son équilibre, sa géométrie, ses tâches de couleurs comme de la peinture et ses traits de crayons fins. On peut presque sentir la texture de la tôle.
« L’art est partout autour de nous, il faut juste savoir y prêter attention » nous disiez-vous. Une source intarissable d’inspiration !
D’autres projets à venir, ici ou ailleurs ?
Je le souhaite, après une telle réussite tout est possible. Un autre livre ? Une autre ville ? Un autre thème ? Un sujet passionnant est à l’étude car Singapour et ses esprits n’ont pas fini de nous surprendre !
Merci pour ce beau partage Stéphanie !
Retrouvez le livre de Stéphanie Lehembre directement sur son site : www.artitude.me/
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